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L'auteur

 

Né à Paris en 1957, François Chollet est ingénieur des eaux et forêts. Il vit à Toulouse. Il est marié à une médecin pédopsychiatre.

Auteur de Carnet de balles, roman policier, aux éditions Odin (2002)
Un garçon si tranquille (2011), aux éditions du Cherche Midi
Bras de fer (2013), aux éditions du Cherche Midi.

 En bas de page, nous vous offrons une des nouvelles de ce recueil.
"Traverser" un recueil de nouvelles dont beaucoup ont reçu des prix à des concours.

 

"Toutes les passions ont le même but : distraire de la peur de vieillir. Et après tout, attendre une vague n'est pas plus angoissant que d'attendre la mort".

 

Au delà des états d'âme d'un surfeur chevronné, la variété des thèmes abordés par les textes de ce recueil est impressionnante : du drame des femmes enlevées au Mexique, aux amis imaginaires (au fait savez-vous ce qu'est un doppelgänger ?), en passant par l'évocation du devenir de notre planète.

La passion de la nouvelle anime François Chollet.

La poésie est parfois présente, l'humour souvent au rendez-vous.

Le recueil fourmille de fins surprenantes.

Beaucoup de ces nouvelles ont été primées à des concours.

Né à Paris en 1957, François Chollet est ingénieur des eaux et forêts. Il vit à Toulouse. Il est marié à une médecin pédopsychiatre.

Auteur de Carnet de balles, roman policier, aux éditions Odin (2002)
Un garçon si tranquille (2011), aux éditions du Cherche Midi
Bras de fer (2013), aux éditions du Cherche Midi.

L' illustration de la première de couverture a été réalisée par l'auteur

 

ISBN n° 978-2-493528-04-9            Prix : 18€

Tu ne partiras pas !

 

            — Tu ne partiras pas !

            La mère vociférait. Sa voix aigre emplissait l’espace sombre de l’unique pièce du logement. Les enfants, habitués à ses colères retentissantes, ne bougeaient pas d’un pouce. Il valait mieux se faire oublier, quand elle était dans cet état-là. Seul le père tentait de se faire entendre, de sa voix fragile d’homme qui ne commande pas chez lui :

            — Mais j’ai signé, je n’ai pas le choix.

            Sa femme n’avait pas l’intention de changer d’avis :

            —  On te cachera jusqu’à ce que le bateau s’en aille !

            —  S’ils me trouvent, ils vont me pendre.

            —  Ils ne te trouveront pas !

            Le père travaillait comme journalier au port de La Rochelle. Monnayant à la tâche la maigre force de ses bras. Charriant des gravats, chargeant des paquetages, déchargeant des colis. Cette vie de labeur, épuisante et dangereuse, suffisait à peine à nourrir sa famille, à acheter de quoi ravauder les vêtements, à payer la bougie qu’on tenait allumée aux premières heures de la nuit, en hiver. C’était le lot de la majorité des Rochelais de l’époque, pauvres, entassés dans des taudis insalubres, et déjà bien contents de trouver de la besogne sur les chantiers navals.

            Toute la journée la mère priait qu’on ne vienne pas lui annoncer que son mari s’était fait faucher par un madrier en chargement ou un tonneau à la dérive. Il paraissait si frêle entre deux piles de marchandises. Elle ne craignait rien davantage que de se retrouver seule avec sa marmaille de six enfants. Et la veille, le père avait commis l’irréparable. En longeant les quais, au retour de son travail, il était passé devant le Roy Dahomey, un trois mâts de commerce triangulaire en partance vers les côtes africaines. La carène magnifiquement décorée du vaisseau, haute comme les maisons bourgeoises de la ville, avait attiré son regard. Il s’arrêta pour l’admirer. Cela ne lui arrivait jamais. Avec sa charge de famille la mer n’était pas pour lui, et le petit homme préférait ne pas se soumettre à la tentation. Un officier posté devant la passerelle lui avait aussitôt adressé la parole :

            — Eh, l’homme, on veut profiter du voyage  ?

            L’ouvrier tressaillit, bégayant quelques onomatopées pour toute réponse. L’autre reprit :

            — Il nous manque deux hommes d’équipage. Tu n’es pas bien gras, mais tu as l’air costaud.  Instinctivement, le père redressa sa petite taille. Embarquer lui avait toujours semblé réservé à d’autres, plus forts et plus téméraires que lui. La flatterie de l’officier lui fit perdre tout jugement. Un gaillard en costume noir était sorti de l’ombre à point nommé, l’attrapant par le bras  :

            — Viens voir. Tu sais combien ça paye, de faire matelot ?

            L’inconnu l’entraîna, presque de force, vers une taverne qui faisait face au quai. Ils s’attablèrent dans cet établissement enfumé où le père n’était jamais entré. Le recruteur lui paya plusieurs pintes, le saoulant de paroles et de bière. Lui racontant la beauté des paysages insulaires, lui faisant miroiter les fortunes que l’on peut amasser sous les tropiques. Puis il posa un papier sous ses yeux. Le pauvre diable ne savait pas lire. Timide, peu habitué à l’alcool, pris dans un tourbillon de sensations déstabilisantes, il avait signé son acte d’engagement. Le marin lui apprit ensuite que le Roy Dahomey larguait les amarres dès le lendemain, à l’heure où la marée serait propice.

            Rentré chez lui, l’homme avait révélé l’affaire à la mère. Celle-ci ne réagissait jamais tout de suite. Elle emmagasinait les émotions, la peur, la joie, la colère, et son trouble ressortait plus tard. Elle avait donc gardé le silence. Le père eut le temps d’évoquer so n futur périple devant ses enfants. Après leur avoir dressé un tableau idyllique des Petites Antilles, il les couvrit de promesses. Les effets de la boisson l’inspiraient :

            — Ce sont des endroits magiques. Je vous ramènerai du sable qui est toujours chaud. Et pour Lisette, des bijoux, et à Fanny aussi. Pour Marie un collier d’argent, et pour toi la mère, de l’or en branches. Pour petit Louis un couteau en corne d’animal féroce, et pour Germain un cheval. Et à toi, mon Jeannot, je rapporterai le trésor d’un roi.

            Il se réconfortait lui-même avec ces fables, il réussissait presque à se convaincre que sa fortune était faite. De quoi faire briller les yeux de sa progéniture, entassée au milieu de la pièce étroite. Pris au jeu, excités par la convoitise, les petits étaient ravis de découvrir un père assez aventureux pour s’engager dans la marine et leur rapporter bientôt des cadeaux inestimables. À la fin du XVIIIème siècle, les récits de voyageurs étaient assez répandus pour alimenter l’imagination de tous. Les enfants avaient rêvé la nuit entière de rivages paradisiaques, de peuplades exotiques, de coffres débordants de pierreries, d’or ramassé à pleines mains dans les ruisseaux. Leur inconscient juvénile s’était régalé à inventer un monde enchanté aux couleurs criardes, aux odeurs épicées. Ils avaient bien dormi, malgré le froid glacial de janvier.

            L’ambiance s’était gâtée dès le lendemain. La mère se montrait réfractaire aux illusions tropicales. Elle connaissait la réalité : la maigre solde, dont la moitié seulement était distribuée à l’avance, les six mois d’absence, pendant lesquels on ne recevait aucune nouvelle, les risques liés au scorbut et aux attaques de corsaires. Elle avait ruminé son inquiétude sans trouver le sommeil. Comment survivre si longtemps sans homme à la maison ? Comment ne pas envisager le pire de ce voyage ? Depuis l’aube elle s’acharnait sur son fragile époux. Celui-ci, dégrisé, conscient de son erreur de la veille, tremblait à l’évocation des terribles conséquences de son enrôlement. Il n’opposait au courroux de la mère qu’un rappel pleurnichard de sa situation :

            — Mais je te dis que j’ai signé. Ils ont droit de vie et de mort sur moi.

            — On va se débrouiller. Tu ne partiras pas  !

            La mésaventure du père n’était pas un cas isolé. La plupart des victimes d’agents recruteurs se sont engagées sous l’influence de rasades répétées et de promesses factices. Au réveil, le crâne douloureux, elles prennent conscience de leur égarement et donneraient tout pour renier leur parole. L’armateur du Roy Dahomey, le sieur Vial du Clairois, a l’habitude de ces remords tardifs. Avant chaque départ il prend la précaution d’envoyer ses gardes récupérer à domicile les matelots embauchés, les enthousiastes comme les récalcitrants. Ce matin-là, la mère entend la première le fracas des bottes qui monte de leur ruelle, le cliquetis des épées, les éclats de voix qui annoncent l’arrivée d’une patrouille armée. Elle comprend aussitôt la situation et souffle :

            — Dans la soupente !

            D’un geste sans réplique elle intime à son mari l’ordre de grimper sur la table et de se hisser vers le grenier, à travers une petite trappe qu’il referme sur son passage. Cette agitation affole les enfants. Ils reculent jusqu’au mur du fond et restent là, serrés les uns contre les autres. Les bruits extérieurs se rapprochent. Bientôt deux hommes en armes font irruption dans la pièce, donnant l’impression de la remplir toute entière. Le plus grand prend la parole :

            — Bonjour. Nous cherchons le sieur Peintureau. Il habite bien ici ?

            La mère se tait. Les enfants respirent à peine, la présence du père au-dessus de leurs têtes les tétanise. Les soldats ont l’habitude de ces silences pesants. Ils scrutent les visages dans l’espoir d’y lire la vérité. Le premier finit par perdre patience et vient se placer face à la mère, qu’il dépasse de deux têtes. Il articule d’un ton menaçant :

            — Nous sommes ici pour enrôler Anselme Peintureau. Vous êtes au courant ?

À cet instant une voix ferme, inattendue se fait entendre :

            — C’est moi !

            Jeannot, le fils aîné, s’est avancé. Dressé sur la pointe des pieds pour se donner une stature. Du haut de ses douze ans il répète :

            — C’est moi.

            Son élocution est calme, nette, sans réplique. Les deux mercenaires le jaugent du regard, sourient. Le plus vieux hoche la tête :

            — Anselme Peintureau, mousse sur le Roy Dahomey. Bonne chance, mon garçon.

            L’homme tend à la dame Peintureau un papier roulé, qu’elle saisit d’une main hésitante. Il lui remet ensuite une bourse en tissu, qui fait un beau bruit métallique en s’écrasant dans la paume tremblante. Sa mission est achevée. Il regagne la rue avec son compagnon. Le fils les suit, passant devant sa fratrie médusée. Bouche ouverte, yeux écarquillés, la mère le regarde sortir. Sur le pas de la porte Jeannot se retourne et, assez fort pour être sûr d’être entendu jusque dans le grenier, il articule :

            —  Je pars. Dites-le au père. À Dieu.

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